mardi 20 avril 2010

Le grand emprunt peut être une chance pour la recherche

Texte paru le 20/4/2012 dans La Tribune.
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Le grand emprunt va apporter un capital d'au moins 18 milliards d'euros au monde académique. Ce montant est d'autant plus important que les difficultés budgétaires actuelles n'augurent guère d'augmentation future des dépenses de l'État. Bien utilisés, ces crédits pourraient améliorer l'efficacité de l'ensemble de la recherche et de l'enseignement supérieur en France. Une partie importante de ce budget - plus de 10 milliards d'euros - sera attribuée à des "campus" et "laboratoires d'excellence". Ceci s'inspire de "l'endowment" des universités nord-américaines : des capitaux accumulés grâce aux dons, surtout des anciens élèves. Ils sont considérables pour quelques universités - jusqu'à 2 millions de dollars par étudiant à Princeton - mais sont en général faibles pour les autres "colleges". Ce système n'est pas l'élément le plus intéressant du système américain. Il est créateur d'inégalités, voire de distorsions de la compétition entre établissements. Les universités les plus riches paraissent massivement surdotées, sans que leur enseignement ou leur recherche soient obligatoirement meilleurs que ceux des grandes universités d'État aux moyens beaucoup plus limités. Le dynamisme de la recherche aux États-Unis doit probablement beaucoup plus au système national de financement des projets.

Pour éviter ces défauts, le mécanisme de sélection des "laboratoires" et des "campus d'excellence" devra éviter de sembler décréter l'excellence, avec le risque de favoriser non pas les meilleurs chercheurs mais les plus proches du pouvoir. Il faudrait pour cela des règles d'attribution claires, basées sur des évaluations scientifiques indiscutables, et qui autorisent la reconnaissance d'équipes d'excellence y compris dans de petites universités. Pour garder un caractère incitatif, les moyens attribués devraient l'être pour une période limitée, suivie d'une redistribution des cartes.


Les "campus d'excellence" présentent des difficultés spécifiques. Il sera difficile de s'assurer dans ces grands ensembles d'une bonne utilisation des fonds, incitative et concentrée sur les équipes véritablement dynamiques. La question de leur gouvernance prend donc une importance centrale. Deux dangers guettent : un partage "démocratique" des ressources suivant les rapports de force locaux, sans effet incitatif, attribuant beaucoup à des équipes sans réelle visibilité internationale. Et, à l'opposé, l'apparition de potentats locaux tirant leur pouvoir du contrôle de budgets importants, ce qui ouvrirait la porte aux pires dérives mandarinales.


L'observation d'exemples étrangers suggère bien sûr des pistes pour créer les outils de gouvernance nécessaires. Mais les milieux académiques français manquent de maturité dans ce domaine ; même les règles de déontologie élémentaires n'y sont pas encore toujours appliquées. Attribuer des financements considérables en fonction du respect de règles de gouvernance qui n'ont été ni clairement énoncées ni comprises et intégrées serait problématique. D'autres règles pourraient être recommandées aux futurs "campus d'excellence".

Le respect d'un niveau élevé de mobilité au moment des recrutements, par exemple, est nécessaire pour assurer la circulation et le renouvellement des idées. Elle assurerait aussi que les campus d'excellence profitent à l'ensemble du système académique français, les autres centres pouvant recruter les jeunes chercheurs qui y sont formés. On peut regretter aussi le choix exclusif de financements attribués sur des bases géographiques. Dans certaines disciplines bien structurées, des réseaux nationaux, qui sélectionnent les initiatives d'excellence où qu'elles se trouvent, mèneraient certainement à une utilisation plus efficace des moyens.

dimanche 4 avril 2010

Pour les universités, ce n'est pas la taille qui compte

Le texte suivant est paru dans le quotidien La Tribune le 17/3/2010, voir ici.
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L'écho considérable du classement de Shanghai en France a eu pour effet bénéfique d'attirer l'attention sur le retard pris par l'enseignement supérieur de qualité et par la recherche dans notre pays, et sur l'urgence qu'il y a à investir dans ce domaine crucial pour l'avenir. Mais les médiocres performances françaises dans ce classement constituent un symptôme, et non un mal.

Il est tentant de se fixer comme but de gagner des places, comme on veut gagner plus de médailles aux Jeux olympiques ; mais l'enjeu central est la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche, et non le nombre d'universités bien classées.
 

La manière la plus simple de "monter" dans le classement de Shanghai est de regrouper des établissements pour additionner leurs scores. Cette mesure superficielle flatte l'ego des décideurs, qui croient créer des institutions importantes alors qu'ils ne font que réarranger l'existant sans rien changer au fond. Elle peut être très coûteuse en infrastructures, comme dans le projet du plateau de Saclay, et risque de créer des organisations trop énormes pour être dirigées efficacement - les problèmes de gouvernance des universités sont loin d'être complètement résolus.
 

La taille des ensembles en voie de constitution tranche avec celle, beaucoup plus réduite, des premières universités du classement de Shanghai. Celles-ci ont de l'ordre de 1.000 ou 2.000 "faculty members" (enseignants-chercheurs ayant des postes permanents ou ayant vocation à le devenir) et quelques milliers d'étudiants. Caltech (au 6ème rang) compte environ 400 "faculty". Par comparaison, la seule université Paris VI rassemble 5.600 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents et 30.000 étudiants, et ne sera qu'une partie d'un ensemble beaucoup plus vaste ; le projet du campus de Saclay vise à regrouper près de 30.000 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents et autant d'étudiants.
 

L'importance attribuée aux classements se justifie par le souci de l'attractivité : avoir un bon rang permettrait d'attirer les meilleurs étudiants de Chine, d'Inde ou d'ailleurs. La réalité est plus complexe. Les étudiants avancés, qui viennent préparer un master ou un doctorat, ont une idée précise de leur discipline et des équipes dans lesquelles ils voudraient travailler. Ceux qui débutent fondent en partie leur choix sur l'image des universités, mais cette image dépend de bien plus que de classements : avis des condisciples qui y étudient, qualité des bâtiments, de l'encadrement, de l'environnement, visibilité des résultats de la recherche.
 

Les regroupements prévus en France pourraient bien se révéler contre-productifs. Le classement de Shanghai était au départ l'initiative individuelle d'un professeur assisté de deux étudiants, construit à partir de données faciles à compiler. Les prochaines éditions utiliseront probablement des données plus sophistiquées, il est possible qu'elles se basent sur la production moyenne par enseignant-chercheur, plus difficile à mesurer mais plus significative que la production totale. Dans ce cas, les futures méga-universités françaises perdraient toute chance de briller, les équipes d'excellence étant noyées dans d'immenses ensembles plus moyens. Les regroupements actuels paraîtraient alors non seulement contre-productifs mais même ridicules.
 

Le vrai bénéfice potentiel des regroupements est ailleurs : dans la possibilité de véritables formations pluridisciplinaires, sortant des frontières des actuelles universités spécialisées en sciences, en sciences sociales ou en lettres. De futurs ingénieurs ou avocats pourraient profiter des enseignements d'excellents philosophes, de futurs philosophes suivre les cours d'excellents biologistes. Mais cette possibilité n'est encore que bien peu utilisée dans la pratique.

Les regroupements d'universités relèvent d'une vision bureaucratique de la recherche. Le véritable enjeu est de dynamiser la recherche et d'améliorer l'enseignement, dans les laboratoires et dans les salles de cours.

Bienvenue sur ce blog !

Je pense y poster régulièrement des billets sur la recherche et sur l'enseignement supérieur en France. Mais avec une fréquence assez faible -- une fois par mois, parfois deux. Les remarques et commentaires seront les bienvenus !