tag:blogger.com,1999:blog-13411692081103033442024-03-13T04:26:44.880-07:00Recherche et enseignement supérieurJean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.comBlogger12125tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-45137208078370632412011-01-30T09:53:00.000-08:002011-02-03T23:02:16.756-08:00Les nouveaux dangers de la bibliométrieUne <a href="http://arxiv.org/abs/1010.0278">prépublication récente</a> de Douglas N. Arnold et Kristine K. Fowler porte le titre évocateur de "Nefarious numbers", et apporte de nouveaux arguments à ceux qui luttent contre les utilisations abusives d'outils bibliométriques pour l'évaluation des chercheurs, des journaux scientifiques, et des institutions. D. Arnold est un spécialiste des mathématiques appliquées, K. Fowler une documentaliste spécialisée en mathématiques. Leur article contient trois types d'arguments. <br />
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Ils s'intéressent d'abord aux "impacts facteurs" des journaux. Il faut savoir que la réputation des journaux scientifiques dépend aujourd'hui largement de leur "Impact Factor" (IF), défini comme le nombre moyen de citations aux articles qu'ils publient dans les deux ans après la publication. Un journal dont l'IF est important est considéré comme particulièrement influent. Or les auteurs donnent plusieurs exemples très précis de journaux médiocres dont les éditeurs ont réussi à "tricher", par exemple en demandant aux auteurs de citer spécifiquement et largement d'autres articles parus dans le même journal, pour arriver à obtenir des IF très élevés. Ces journaux peuvent donc passer pour excellent auprès d'observateurs mal informés, par exemple des gestionnaires de haut niveau de la recherche qui connaissent nécessairement mal l'ensemble des journaux de telle ou telle discipline. <br />
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Les indicateurs bibliométriques sont utilisés non seulement pour évaluer l'importance des journaux, mais aussi, de plus en plus, pour mesurer la "qualité" des chercheurs. Le nombre de citations que reçoivent leurs articles est souvent utilisé (abusivement) comme une mesure de l'importance de leurs contributions. Or Douglas et Fowler montrent, à nouveau par des exemples très précis, qu'il est facile pour un chercheur peu scrupuleux d'utiliser une position de pouvoir (par exemple éditeur d'un journal) pour obtenir un nombre de citations considérable, qui peut le faire passer pour l'un des leaders de sa discipline alors que ses travaux n'ont qu'un intérêt médiocre. <br />
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Au-delà de ces exemples de tricheries manifestes, Arnold et Fowler montrent que, dans le domaine des mathématiques appliquées, l'Impact Factor n'est qu'une indication très imparfaite de la qualité des journaux, ou du moins qui n'est qu'imparfaitement corrélée avec les évaluations d'experts humains. Ils le font en comparant les IF de l'ensemble des journaux de mathématiques appliquées dont l'IF est connu avec la classification que leur ont attribué l'organisme d'évaluation de la recherche australien (ERA). Les graphes qu'ils donnent sont impressionnants. <br />
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On ne peut que constater la justesse des remarques de Douglas et Fowler, et même aller au-delà. Les exemples qu'ils donnent sont des tricheries caractérisées, grossières et relativement faciles à repérer. Mais au-delà on constate de plus en plus souvent des petites manipulations plus subtiles dont le résultat est d'influencer, souvent efficacement, les indicateurs bibliométriques. <br />
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C'est vrai au niveau des individus. On peut citer l'exemple d'un chercheur tout à fait respectable, mais travaillant dans un pays où les indicateurs bibliométriques jouent un rôle important, habitué, depuis plusieurs années, à écrire systématiquement aux auteurs de prépublications proches de son domaine de recherche pour leur suggérer, poliment, d'ajouter une ou deux citations à ses propres travaux. Le résultat est évidemment un nombre de citations impressionnant.<br />
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Pour les journaux, il existe des moyens plus subtils d'augmenter artificiellement l'Impact Factor. L'un des plus simple est de décaler leur date de publication : les articles sont publiés sur le site internet du journal plusieurs mois avant la date officielle de sortie du numéro où ils paraissent. Les citations qu'ilss'attirent peuvent donc "compter" pour le calcul de l'IF non pas seulement pendant les 2 ans pendant lesquels l'IF est mesuré, mais pendant quelques mois de plus. C'est particulièrement important pour les disciplines (comme les mathématiques) où le nombre de citations tend à augmenter nettement pendant plusieurs années après la publication. <br />
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Enfin on constate des manipulations au niveau des institutions. Dans certains domaines, on constate une certaine obsession pour les classements entre départements, généralement basés sur des données bibliométriques. Il est alors tentant pour un département de "tricher" pour améliorer ses indices. L'un des moyens les plus efficaces pour cela est de donner à ses chercheurs des incitations directes à publier dans telle ou telle liste de journaux, par exemple par des primes dépendant du nombre de publications dans ces journaux. Il s'ensuit une hausse mécanique et importante du nombre de publications, et donc des indices correspondants, sans que la recherche produite soit meilleure pour autant.<br />
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Au-delà de ces médiocres manipulations, il faut rappeler que l'évaluation bibliométrique des chercheurs ou des départements souffre de défauts profonds. L'un est qu'il existe des biais considérables entre disciplines : une citation en biologie cellulaire n'a absolument pas la même signification qu'en histoire, et dans une même discipline, des biais considérables existent, par exemple entre la théorie des nombre et l'analyse appliquée. L'autre est que les évaluations bibliométriques individuelles donnent des incitations perverses aux chercheurs, qui risquent de négliger les recherches profondes et parfois difficiles à publier et peu lues à court terme, pour se concentrer sur des publications rapides dans journaux à fort impact et sur la publicité de leurs travaux pour augmenter le nombre de leurs citations. Ce n'est pas comme ça que peut se faire la bonne recherche.<br />
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Il ne faut pas pour autant refuser toute utilisation de données bibliométriques, bien au contraire ; dans certains cas elles fournissent des indications utiles, par exemple pour comparer les productions de départements dans une discipline donnée, ou pour suivre l'évolution de la production scientifique d'un pays. C'est un outil utile (mais d'utilisation délicate) de politique scientifique. Ca peut être un outil utile aussi pour contrôler a posteriori un ensemble d'évaluations individuelles, et identifier les cas où des dysfonctionnements majeurs se produisent. Par contre, pour l'évaluation individuelle des chercheurs, on peut penser que l'utilisation d'outils bibliométriques présente plus de dangers que d'avantages et que les experts scientifiques, capables de lire les articles et d'évaluer la valeur de leur contenu, devraient toujours être privilégiés.<br />
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Quelques références pour aller plus loin.<br />
<ul><li><a href="http://www.mathunion.org/fileadmin/IMU/Report/CitationStatistics.pdf">Citation Statistics</a>. <br />
International Mathematical Union Report. Robert Adler, John Ewing (Chair), Peter Taylor. 12/6/2008.</li>
<li><a href="http://www.academie-sciences.fr/actualites/textes/avis_170111.pdf">Du bon usage de la bibiométrie pour l'évaluation des chercheurs</a>. <br />
Rapport de l'Académie des Sciences, 17/1/2011.</li>
<li><a href="smf.emath.fr/Publications/.../smf_gazette_115_73-79.pdf">Les enjeux de la bibliométrie pour les mathématiques</a>. Jean-Marc Schlenker. Gazette des mathématiciens 115(2008), 73-79.</li>
</ul>Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-6177115007083079242011-01-09T11:03:00.000-08:002011-01-09T11:52:13.991-08:00Deux visions de la formation des enseignantsManquant de temps pour écrire un post, je remet ici une chronique déjà ancienne écrire pour La Tribune, publiée le 17/12/2009. Il s'agit de la formation des enseignants, une question qui reste d'une complète actualité. Commentaires bienvenus. <br />
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La formation et le recrutement des enseignants du secondaire sont en cours de réforme. Ils sont actuellement recrutés par concours : soit le Capes après un diplôme de licence de niveau bac + 3, soit l'agrégation après avoir obtenu un diplôme de niveau bac + 4. C'est donc, avec l'année de préparation au concours, un recrutement à bac + 4 ou bac + 5, mais qui ne permet pas d'obtenir le diplôme de master qui fait référence au niveau européen. La réforme en cours vise à corriger ce point, on parle de "mastérisation". Les conflits intenses des derniers mois autour des modalités de cette réforme ont fait apparaître deux visions opposées du rôle des enseignants.<br />
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La première les considère comme de simples employés chargés de faire apprendre leurs leçons aux élèves. C'est ainsi qu'a largement été comprise la remarque de Xavier Darcos, alors ministre de l'Education nationale : "on va les trouver les gens pour passer nos concours." De ce point de vue, les concours de recrutement actuels sont beaucoup trop exigeants, surtout l'agrégation, plus difficile dans certaines disciplines que l'entrée dans la grande majorité des grandes écoles. Mieux vaudrait recruter les enseignants à plus bas niveau, avec une petite formation dans leur discipline - allant légèrement au-delà de ce qu'ils devront enseigner - puis leur apprendre leur métier, c'est-à-dire comment enseigner.<br />
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Pourtant, le rôle à la fois social et économique des enseignants du secondaire est considérable. Rares sont les élèves qui passent autant de temps à communiquer avec leurs parents qu'avec leurs professeurs. Ceux-ci leur transmettent bien plus que des connaissances : ils peuvent servir d'exemple et de modèle, montrent une manière d'être, de réfléchir, de travailler, d'échanger. Ce rôle est particulièrement important pour les élèves issus de milieux socialement défavorisés, pour lesquels les enseignants peuvent offrir une ouverture vers d'autres formes de culture ou de réflexion. Des comparaisons internationales (Pisa) indiquent d'ailleurs que le niveau de formation des enseignants, et leur salaire relatif, fait partie des rares facteurs ayant un effet positif clair sur les résultats des élèves.<br />
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Les enseignants jouent un rôle économique indirect mais fondamental. Il est clair que le développement d'un pays dépend essentiellement du niveau de formation de ses habitants, donc de la qualité de son enseignement secondaire. Son futur est ainsi déterminé par ses enseignants, autant ou plus que par ses ingénieurs, son personnel politique ou ses banquiers. Si quelques pays (comme les Etats-Unis) arrivent à compenser un enseignement secondaire médiocre par des universités de grande qualité, c'est au prix d'une dépense pour l'enseignement supérieur qui paraît, en France, hors d'atteinte.<br />
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Ces considérations conduisent à une vision différente des concours de recrutement. Ils sont un moyen de sélectionner des esprits solides et compétents, dans différentes disciplines, à qui sera confiée la charge considérable de former les générations futures. L'important n'est pas qu'un agrégé de lettres puisse analyser avec brio "La Princesse de Clèves", ou qu'une agrégée de physique maîtrise les fondements de la mécanique quantique. Mais bien qu'ils aient prouvé, par la réussite à un concours difficile, leurs capacités intellectuelles et leur passion pour leur sujet, qu'ils pourront transmettre en partie, à travers leur exemple et leur enseignement, à leurs élèves.<br />
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A contrario, la formation pédagogique est considérée avec méfiance par beaucoup d'universitaires et d'enseignants. Non par principe : l'enseignement est un métier qui peut, dans une certaine mesure, s'apprendre. Mais, en pratique, la formation pédagogique donnée dans les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) est parfois théorisante voire jargonneuse, et éloignée des difficultés réelles de la pratique quotidienne de l'enseignant. Une formation à la pédagogie, assurée par des enseignants expérimentés, est certes utile ; mais la perspective de concours de recrutement centrés sur des connaissances pédagogiques théoriques plutôt que sur des compétences disciplinaires est inquiétante. On ne saurait surestimer l'importance des orientations qui vont être données dans les prochaines semaines à la formation et au recrutement des enseignants du secondaire. Il est souhaitable qu'elles restent centrées sur un contenu disciplinaire bien maîtrisé.Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-44658645677901302972011-01-03T09:10:00.000-08:002011-01-09T11:53:32.770-08:00Les universités, la recherche, et le risque de la bureaucratisationUn <a href="http://www.nybooks.com/articles/archives/2011/jan/13/grim-threat-british-universities/">article récent</a> de la New York Review of Books décrit le poids de plus en plus pesant que la bureaucratisation fait peser sur les universités britanniques. On ne peut que recommander la lecture de cet article, qui en analyse de manière fine les origines, les mécanismes et les dangers. Il incite à s'interroger sur les évolutions en cours en France, à la lumière de l'exemple britannique.<br />
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La bureaucratisation qui est décrite prend son origine dans une volonté légitime de rationaliser et de rendre plus efficace la dépense publique. Il est pour cela nécessaire de disposer d'indicateurs quantitatifs permettant d'évaluer le service qui est effectué, et ainsi de suivre l'évolution et l'amélioration de l'action publique. <br />
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La recherche et les universités n'échappent pas à l'exigence d'efficacité, qui concerne l'ensemble de l'action publique. La plupart des organisations laissées à elles-même et sans pression extérieure, peuvent s'installer dans une certaine torpeur peu propice au dynamisme et à l'efficacité. C'est particulièrement le cas des universités et des organismes de recherche. D'une part parce que leur organisation institutionnelle en France, basée sur l'élection, tend à produire des dirigeants consensuels peu à même de mener des politiques exigeantes. D'autre part parce que la recherche est une activité bien particulière, qui exige beaucoup d'énergie et de dévouement, et qui s'accomode bien mal d'une organisation sclérosée.<br />
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Le problème est qu'il est difficile de trouver des indicateurs vraiment adaptés, dans ce cadre, aux activités académiques. Plus précisément certains indicateurs donnent des indications utiles sur les activités de recherche, mais ils deviennent dangereux quand ils sont utilisés comme objectifs <a href="#1">[1]</a>. <br />
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C'est le cas pour l'évaluation des formations. On peut penser que la qualité de l'insertion professionnelle -- temps nécessaire pour que les étudiants trouvent un emploi, niveau de salaire et de qualification de ces emplois -- sont de bons indicateurs de la qualité des formations. Mais utiliser ces indicateurs comme objectifs conduit à privilégier dans la formation les éléments favorisant l'insertion professionnelle, en particulier les compétences professionnelles immédiatement utilisables. Il y a là un véritable danger, dans la mesure où ce sont au contraire la qualité de la formation intellectuelle et des connaissances de base qu permettront aux étudiants d'aujourd'hui de s'adapter à l'évolution de leur futur métier dans les vingt, trente ou quarante prochaines années. Une économie moderne a besoin d'acteurs à l'esprit solidement formé, aux compétences et aux connaissances larges et variées, pour pouvoir s'adapter aux évolutions, nécessairement imprévisibles, de demain.<br />
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Le problème est plus sérieux encore pour la recherche. Les indicateurs de production scientifique sont essentiellement de nature bibliométrique, ils mesurent le nombre d'articles publiés dans tel ou tel groupe de revues scientifiques. Ces indicateurs sont utiles lorsque ils sont bien construits -- donc adaptés aux spécificités de chaque discipline -- et il y a déjà là une difficulté sérieuse. Mais lorsqu'ils deviennent des objectifs fixés aux établissements voire, pire, aux chercheurs eux-mêmes, ils présentent un danger redoutable : transformer les chercheurs en spécialistes de la publication, privilégiant les stratégies leur permettant de publier le plus d'articles dans les revues les plus cotées. Cette attitude est orthogonale à celle d'un véritable chercheur, qui doit privilégier les questions profondes, les cheminements intellectuels originaux voire risqués, qui ne conduisent pas toujours à une reconnaissance immédiate et ne permettent pas de publier rapidement beaucoup d'articles dans les meilleures revues.<br />
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Il faut d'ailleurs noter que, contrairement à ce qu'on lit parfois, les indicateurs bibliométriques individuels ne sont JAMAIS utilisés dans les grandes universités pour évaluer le travail des chercheurs. Ce sont au contraire les avis des meilleurs spécialistes qui font foi, et qui sont utilisés pour les décisions importantes (recrutements, promotions). Au niveau des laboratoires ils doivent être utilisés avec précaution ; les comparaisons entre disciplines différentes sont très délicates, et, dans une discipline donnée, des indicateurs bibliométriques ne peuvent pas être utilisés lorsque des institutions "trichent", par exemple en donnant des incitations individuelles fortes à leurs chercheurs pour publier dans telle ou telle liste de journaux, ce qui influe notablement sur les indicateurs.<a href="#2">[2]</a> On pourra trouver une analyse distanciée de l'utilisation des indicateurs bibliométriques dans un rapport récent de Adler, Ewing et Taylor <a href="#3">[3]</a>.<br />
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On peut penser qu'on a pour l'instant largement échappé, en France, à la dérive bureaucratique que souligne en Grande-Bretable l'article de la New York Review. Il faut néanmoins rester vigilant pour éviter qu'une telle dérive ne se produise dans le futur. Pour les formations, le critère essentiel d'évaluation devrait rester la qualité de la formation intellectuelle. Pour la recherche, si les indicateurs bibliométriques sont utiles à une échelle agrégée, il doivent être utilisés avec soin. Au niveau individuel il faut les proscrire dans certaines disciplines au moins, et leur préférer une véritable évaluation scientifique des travaux, effectuée si possible par les meilleurs spécialistes.<br />
<hr>Notes.<br />
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<a name="1">[1]</a> C'est une exemple typique de la "loi de Goodheart" : un bon indicateur cesse de l'être lorsqu'il est utilisé comme objectif. Par exemple, la production d'acier ou d'électricité pouvait être, au cours du XXe siècle, un bon indicateur du niveau de développement économique d'un pays. Dès lors que ces indicateurs sont devenus des objectifs, comme en URSS dans les années 30, ils perdaient leur qualité en tant qu'indicateurs.<br />
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<a name="2">[2]</a> On pourra consulter <a href=" http://www.latribune.fr/opinions/20090311trib000353877/evaluer-la-recherche-nest-pas-une-science-exacte.html">cet article</a> sur ce thème (disponible aussi sous le titre "Evaluer la recherche n'est pas une science exacte" sur <a href="http://sites.google.com/site/jmschlenker/textes">cette page</a>).<br />
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<a name="3">[3]</a> Citation Statistics. Robert Adler, John Ewing, and Peter Taylor. Statist. Sci. Volume 24, Number 1 (2009), 1-14. Disponible <a href="http://www.mathunion.org/fileadmin/IMU/Report/CitationStatistics.pdf">ici</a>.Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-15404100116301210652010-12-31T01:23:00.000-08:002010-12-31T01:23:24.211-08:00Fonctionnement 2011 de ce blogCe blog a servi jusqu'ici essentiellement à mettre sous une forme largement accessible les chroniques écrites pour La Tribune, généralement moins d'une fois par mois. J'ai dû interrompre l'écriture de ces chroniques par manque de temps. A compter d'aujourd'hui, j'essaierai d'alimenter ce blog plus fréquemment -- si possible une fois par semaine -- avec des billets plus courts, ou au moins la mise en ligne d'un article écrit plus tôt mais qui reste d'actualité.<br />
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Les commentaires des lecteurs seront particulièrement les bienvenus ; l'idéal serait d'arriver à avoir ici un véritable lieu d'échange, de dialogue et de réflexion sur les questions d'enseignement supérieur et de recherche.Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-39007897465802256732010-12-27T00:17:00.000-08:002011-01-09T11:53:59.632-08:00Fantasmes et réalités de la fuite des cerveauxLe texte suivant a été publié dans La Tribune le 27/12/2010.<br />
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Les postes offerts en France aux chercheurs véritablement actifs ont vu leur attractivité baisser considérablement au cours des dernières décennies, et les progrès récents restent modestes. La fuite des cerveaux est une inquiétude récurrente pour qui s'intéresse à la recherche et à l'enseignement supérieur. Les conditions matérielles médiocres offertes aux chercheurs actifs en France justifient la crainte de départs massifs, mais une observation attentive conduit à nuancer le diagnostic.<br />
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Une étude récente de l'Institut Montaigne approfondit cette question, ainsi qu'un article plus modeste mais sérieux sur les normaliens établis aux États-Unis. Ce sujet est pertinent : les États-Unis attirent beaucoup de chercheurs, et les normaliens sont nombreux parmi les chercheurs français les plus actifs. Le résultat le plus frappant est que le phénomène n'est pas massif : l'auteur évalue à 2 % la proportion des normaliens établis aux États-Unis. Des indices suggèrent que l'émigration de longue durée des chercheurs français augmente, mais sans être encore considérable.<br />
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L'exil des chercheurs prend en fait deux formes distinctes. La plus visible médiatiquement est celle des « grands » chercheurs, parfois primés, voire connus du grand public. Ces déplacements de chercheurs bien établis sont pourtant rares, et peut-être moins importants qu'il n'y paraît ; recruter (ou perdre) un chercheur connu mais proche de la retraite, dont la période la plus productive est passée, pourra n'avoir qu'un effet marginal sur l'activité scientifique réelle d'un laboratoire.<br />
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Par contre les départs de jeunes chercheurs, avant ou juste après la thèse, sont beaucoup plus nombreux, et véritablement importants pour l'avenir de la recherche. La mobilité des chercheurs diminue avec l'âge et les liens sociaux et familiaux qu'il apporte, et peu de chercheurs s'installent à l'étranger après 40 ans. Ça n'est pas le cas avant ou peu après la thèse. Des études indiquent que près de 60 % des doctorants étrangers aux États-Unis y sont restés dix ans plus tard, et de l'ordre de 50 % pour les Français. Envoyer de bons étudiants préparer un doctorat aux États-Unis implique un risque élevé de les « perdre » ; ce facteur peut expliquer un niveau d'émigration relativement élevé dans certaines disciplines, comme l'économie.<br />
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Pour les chercheurs après la thèse, deux situations très différentes coexistent. La plupart quittent la France parce qu'ils n'y ont pas (encore) trouvé de poste permanent. C'est une attitude normale et même saine, qui leur permettra de se former grâce à des postes temporaires, souvent dans d'excellents laboratoires, avant de rentrer prendre un poste dans une université française s'ils ont su faire leurs preuves. Si leur recherche peine à se développer, ces jeunes chercheurs peuvent être tentés de prendre un poste de cadre dans une entreprise. Leur retour est alors rendu difficile par la faible ouverture des entreprises françaises aux docteurs, auxquelles elles préfèrent souvent les diplômés de grandes écoles. Ils restent ainsi souvent à l'étranger, d'où une perte de ressources humaines et de compétences pour l'économie française.<br />
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Beaucoup moins nombreux sont les départs de jeunes chercheurs qui ont déjà un poste permanent, ou qui pourraient facilement en obtenir, mais qui sont attirés par les offres plus généreuses d'universités étrangères. Dans beaucoup de disciplines, il est plus facile d'obtenir un poste dans une université française que dans une université "de recherche" (ne se limitant pas à l'enseignement) aux États-Unis ; par contre, les salaires sont inférieurs en France. Ces jeunes chercheurs « privilégiés » représentent l'avenir de la recherche française, et leurs départs pourraient être graves s'ils devenaient plus fréquents.<br />
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Les postes offerts en France aux chercheurs véritablement actifs ont vu leur attractivité baisser considérablement au cours des dernières décennies, et les progrès récents restent modestes. L'émigration des chercheurs est un véritable risque pour le futur. L'exemple de l'Italie, où le système universitaire est plus délabré qu'en France et qui se vide rapidement de ses meilleurs cerveaux, montre que le danger est réel.Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-17834081807637828982010-10-10T12:08:00.000-07:002011-01-09T11:54:24.776-08:00Formation contre sélection des élitesLe texte suivant a été publié dans La Tribune le 15/2/2010.<br />
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L'enseignement supérieur a de tout temps eu un double rôle : formation d'une part, sélection des futurs cadres d'autre part. L'une des caractéristiques du système français actuel est l'hypertrophie de la sélection au dépens de la formation. L'étiquette que constitue le diplôme joue un rôle tout au long de la carrière, jusqu'à la notice nécrologique. Elle prime souvent sur les qualités professionnelles pour le choix des postes importants, si bien que les grandes entreprises françaises sont généralement dirigées par des anciens élèves d'une poignée de grandes écoles. Leurs homologues en Allemagne, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne ont des formations supérieures beaucoup plus diversifiées, et des formations initiales dans des universités de niveau variable (complétées plus tard par un MBA). La situation est particulièrement caricaturale dans la fonction publique française, où les postes à fort potentiel sont partagés entre les grands corps. <br />
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Parallèlement, le rôle de formation intellectuelle de l'enseignement supérieur est souvent minoré, voire délaissé, dans certaines Écoles. La formation n'y est pas fondamentale mais « professionnalisante », son objectif est de permettre une insertion facile dans une entreprise. Les grandes universités mondiales donnent accès à des connaissances avancées dans tous les domaines grâce à l'enseignement de chercheurs choisis pour les progrès qu'ils ont apporté à leur discipline. Beaucoup de Grandes Écoles françaises refusent ce système exigeant : leurs enseignants n'ont pas besoin d'être reconnus pour l'excellence de leurs travaux, ils peuvent être recrutés à l'intérieur de réseaux relationnels.<br />
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La formation de base est alors confiée aux classes préparatoires. Elle est solide mais scolaire, et très homogène ; et a peu évolué au cours des dernières décennies, et ne sont plus suffisantes pour comprendre les technologies importantes aujourd'hui, encore moins celles qui le seront demain. Par exemple, les programmes de mathématiques des classes préparatoires étaient avancés il y a un demi-siècle ; ils n'ont guère changé depuis, et ne représentent plus qu'une fraction de ce qu'apprend aujourd'hui un étudiant de Cambridge. <br />
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Les faiblesses de ce système sont profondes. Non pas pour les étudiants qui y sont formés, leurs qualités sont souvent appréciées et ils trouvent sans problème leur place grâce aux réseaux d'anciens élèves ; mais pour les entreprises qui les emploient et pour l'économie dans son ensemble. Les milieux dirigeants français ont des profils homogènes, certaines qualités y sont abondantes, d'autres talents y sont rares. En tant que groupe, ils manquent d'un ensemble de connaissances présentes chez leurs équivalents étrangers dont les formations sont plus diverses et plus riches. Un système de « castes » fondées sur le diplôme dégrade le climat social et démotive ceux dont la progression est bloquée par un plafond infranchissable, quels que soient leur compétence et leur dévouement.<br />
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L'enseignement supérieur français doit admettre que son rôle est de donner aux étudiants la formation la plus riche possible, nécessairement fondée sur une recherche de haut niveau dans les différents champs académiques, mais pas de choisir les leaders de demain; il ne peut repérer qu'une partie des talents nécessaires à un cadre supérieur. L'identification et le développement des talents montants est d'ailleurs un aspect essentiel – et délicat – du "leadership". On peut penser qu'une entreprise dont la plupart des dirigeants sont des « anciens élèves de » est généralement médiocrement gérée, hypothèse d'ailleurs confirmée par des études économétriques1 ; les entreprises devraient choisir leurs cadres supérieurs suivant leurs qualités et non leurs diplômes. L'État donnerait l'exemple en fondant les nombreux « grands corps » qui fleurent bon le XIXe siècle – comme celui des Mines ou des Ponts – dans un corps unique plus ouvert, où le talent individuel primerait sur l'appartenance de caste.Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-86671112632401457502010-09-17T00:06:00.000-07:002011-01-09T11:54:53.391-08:00Pourquoi tant de médaillés Fields sont françaisArticle paru dans <a href="http://www.latribune.fr">La Tribune</a>, 16/9/2010.<br />
<a href="http://math.univ-toulouse.fr/~schlenker/chroniques/1009t.pdf">Version pdf</a>. <a href="http://math.univ-toulouse.fr/~schlenker/chroniques/1009p.pdf">Version publiée</a>.<br />
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Le 19 août dernier, deux mathématiciens français, Ngô Báo Châu et Cédric Villani, ont reçu la médaille Fields, analogue du prix Nobel pour les mathématiciens de moins de 40 ans. Un autre, Yves Meyer, recevait le prix Gauss, réputé le prix le plus prestigieux pour les mathématiques appliquées. Ces attributions complètent une série impressionnante : depuis vingt ans, 18 médailles Fields ont été attribuées, dont 7 à des mathématiciens travaillant en France. Si la France avait reçu depuis vingt ans la même proportion de prix Nobel scientifiques, elle en aurait obtenu 69 sur 178 distribués (au lieu de 7). Si le même succès était obtenu dans les technologies innovantes, une entreprise au moins parmi Apple, Google et Microsoft serait française.<br />
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Les médaillés Fields ne sont que la pointe visible d'un iceberg. Des dizaines d'autres mathématiciens moins connus du grand public sont aussi parmi les leaders incontestés de leur discipline. Des centaines d'autres encore sont reconnus parmi les meilleurs spécialistes de leurs champs respectifs. Au terme d'une longue évolution, presque toutes les universités françaises ont aujourd'hui dans leur département de mathématiques quelques-uns de ces chercheurs de premier plan.<br />
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Cette bonne santé des mathématiques françaises, confirmée par tous les indicateurs, ne peut s'expliquer par une dépense particulièrement importante (d'autres disciplines sont privilégiées), un peu plus peut-être par le poids des mathématiques dans la sélection des élites. Plus profondément, trois caractéristiques les distinguent des autres sciences en France, mais les rapprochent des « bonnes pratiques » générales dans d'autres pays.<br />
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La première est un lien fort avec l'enseignement supérieur. La grande majorité des médaillés Fields français sont professeurs et non chercheurs. Jusqu'à une date relativement récente, les mathématiciens ne restaient chercheurs que quelques années, le temps de développer leur indépendance scientifique, avant de prendre un poste de professeur dans une université. Les conséquences sont profondes, car les étudiants en mathématiques, y compris les futurs enseignants du secondaire, sont formés par des chercheurs actifs. Les mathématiciens s'impliquent dans l'enseignement, par exemple dans la définition des programmes depuis le secondaire jusqu'à l'agrégation, qui ont évolué beaucoup plus que dans d'autres disciplines. L'enseignement, surtout dans les universités, est plus attractif pour les meilleurs étudiants et moins poussiéreux que dans des disciplines où les meilleurs chercheurs n'enseignent guère. La qualité de la formation explique peut-être aussi le rôle (exagéré) des mathématiques dans la sélection des élites en France.<br />
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La deuxième spécificité des mathématiques est l'imposition stricte de règles de mobilité au moment des recrutements. Cette pratique, généralisée dans les grandes universités mondiales, est nécessaire à la circulation et au renouvellement des idées, et indispensable pour que les recrutements soient fondés sur la qualité des travaux scientifiques et non sur des rapports de forces locaux.<br />
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Enfin, le troisième caractère propre aux mathématiques est la forte structuration de la discipline au niveau national. Des scientifiques de haut niveau s'impliquent par exemple dans les organes d'évaluation, de manière désintéressée et malgré la manière cavalière, voire méprisante, dont l'administration les traite. Il s'ensuit une évaluation scientifique de qualité, très souvent impartiale et juste, qui constitue le meilleur encouragement pour les jeunes chercheurs.<br />
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Les mathématiciens français n'ont rien inventé : les trois spécificités décrites ci-dessus font partie des conditions qui assurent, partout dans le monde et quelle que soit la discipline, une recherche de qualité. Ils se sont contentés de s'imposer collectivement, depuis plus d'un demi-siècle, des règles opposées à la facilité qu'avait choisie le reste du système français de recherche : désintérêt envers l'enseignement supérieur, recrutements locaux massifs.Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-36151611525005438442010-06-30T07:53:00.000-07:002011-01-09T11:55:19.093-08:00Les richesses mal exploitées du doctoratArticle publié dans <a href="http://www.latribune.fr/">La Tribune</a>, le 28/6/2010.<br />
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Dans la plupart des grands pays développés, le doctorat est le diplôme de référence. Il est utile pour faire carrière à haut niveau, en particulier dans les fonctions techniques et surtout de recherche et développement. C'est encore loin d'être le cas en France, et cette spécificité est intimement liée aux difficultés françaises dans certains secteurs innovants.<br />
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Chez nos principaux partenaires, le doctorat est avant tout un mode de formation apprécié, qui développe des qualités exactement complémentaires de celles acquises dans les classes préparatoires et les grandes écoles françaises : indépendance, sens critique, travail approfondi sur un problème. Il est source de richesse pour les entreprises, dont certains cadres ont une connaissance fine de domaines divers de la connaissance. Un jeune docteur en histoire ou en littérature de Cambridge peut faire une belle carrière dans une entreprise, et les banques suisses ou certains hedge-funds new-yorkais raffolent de docteurs en mathématiques pures ou en physique théorique. Non pas parce qu'ils possèdent des connaissances immédiatement exploitables, mais parce qu'il est stimulant et intellectuellement formateur d'avoir fréquenté pendant plusieurs années un groupe de recherche d'excellence. Les entreprises ont ainsi une relation naturelle et efficace avec les laboratoires de recherche, grâce aux relations entre leurs cadres docteurs et leurs anciens collègues ou directeurs de thèse.<br />
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En France par contre le doctorat reste assez mal considéré dans les entreprises. Les seuls docteurs qui y trouvent facilement leur place sont ceux qui bénéficient aussi d'un diplôme d'ingénieur. Même pour eux, un doctorat conduit généralement à une relative perte de salaire. De plus les entreprises tendent à favoriser les sujets de thèse correspondant à un besoin immédiat, souvent dans le cadre d'un système spécifique appelé « C.I.F.R.E. » de thèse co-financée par une entreprise, réalisé en partie dans ses locaux, et conduisant normalement à l'embauche directe du docteur.<br />
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Le système de formation doctoral français est ainsi double. D'une part des laboratoires, pour certains excellents, dont les doctorants se destinent au monde académique ou éventuellement à l'enseignement secondaire mais ne vont presque jamais dans les entreprises ; d'autre part, des unités de recherche proches des formations d'ingénieur, pas toujours au meilleur niveau dans leur domaine, qui se spécialisent dans l'encadrement de doctorats très spécialisés menant à des embauches directes en entreprise. <br />
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Cette situation peut expliquer la faible reconnaissance du doctorat dans les entreprises françaises. Autant une thèse dans une équipe de premier plan peut être intellectuellement formatrice, autant le même diplôme obtenu dans un laboratoire médiocre est souvent une perte de temps. Dans d'autres pays, les doctorants sont concentrés dans les meilleures équipes de recherche, grâce à des mécanismes comme les « grants » de la N.S.F. En France, les allocations de thèses sont plus largement réparties, et les contrats C.I.F.R.E. sont attribués sans contrôle du niveau scientifique des équipe de recherche encadrantes.<br />
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Le doctorat souffre aussi de faiblesses au sein des universités. Les programmes doctoraux se sont parfois développés aux dépens de la qualité des recrutements des étudiants qui s'y engagent – d'autant plus limitée que les débouchés sont faibles. De plus le système français ne sait pas donner aux recruteurs potentiels non académiques des signaux clairs sur la qualité du travail des docteurs, comme en Allemagne (où quatre mentions de thèse sont clairement identifiées et réellement utilisées) ou aux États-Unis (où un système de lettres de recommandations indique aux non-spécialistes les qualités d'un jeune docteur).<br />
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La faible reconnaissance du doctorat en France est un archaïsme qui pèse tant sur le développement de nos universités que sur les capacité des entreprises françaises à innover. L'améliorer demanderait des réformes de fond.Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-51479723631927566322010-05-18T01:27:00.000-07:002010-05-18T01:28:09.951-07:00Internet et la révolution du savoir<span class="mod">Article publié le 18/5/2010 dans <a href="http://www.latribune.fr/"><i>La Tribune</i></a> <br />
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Internet crée une révolution profonde et encore mal comprise dans notre relation à la connaissance. Il rend nécessaire une refonte tout aussi profonde de l'enseignement, dont les prémices apparaissent seulement. La nouveauté la plus évidente est l'accès immédiat offert par <cite><a href="http://bourse.latribune.fr/stocks/valeur.html?ISIN=US38259P5089&MARKET=67"><cite></cite></a><a href="http://bourse.latribune.fr/stocks/valeur.html?ISIN=US38259P5089&MARKET=67">Google</a></cite> à une quantité presque infinie d'informations ? l'essentiel des connaissances humaines est à quelques clics de souris de n'importe quel curieux. La capacité de mémorisation en est dévalorisée. Il devient par contre crucial de savoir s'orienter face à une cascade illimitée de données et d'opinions qui peut nous submerger. La difficulté est alors de hiérarchiser les sources et d'évaluer la fiabilité des informations, de savoir où s'informer et à qui se fier. Pas facile.<br />
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Mais on peut observer un phénomène plus profond. Et plus pernicieux. Il a été bien mis en évidence par Nicholas Carr dans un article qui a reçu un écho considérable outre-Atlantique en 2008 et intitulé "Is <cite><a href="http://bourse.latribune.fr/stocks/valeur.html?ISIN=US38259P5089&MARKET=67"><cite></cite></a><a href="http://bourse.latribune.fr/stocks/valeur.html?ISIN=US38259P5089&MARKET=67">Google</a></cite> Making Us Stupid ?". Il remarque qu'Internet crée une culture du "butinage" intellectuel, mais que la lecture de livres ou de longs articles nous devient pénible. Quelques secondes nous suffisent pour glaner avec agilité des informations sur une page Web, mais une réflexion de fond nous devient difficile. L'aboutissement de cette nouvelle culture est Twitter et son flot infiniment distrayant de messages de moins de 140 caractères. Or la maîtrise d'Internet est utile, mais la capacité à se plonger dans un problème ou dans la lecture d'un texte difficile n'est pas moins nécessaire. Il revient plus que jamais à l'enseignement de la développer.<br />
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Une autre révolution liée à Internet est la quantité fantastique d'informations qui sont accessibles et jouent un rôle central dans une gamme chaque jour plus vaste d'activités, de la finance à la médecine en passant par le marketing ou la politique. Dans ces domaines, des programmes analysant de gigantesques bases de données d'expériences antérieures dépassent les meilleurs experts humains. Le monde appartiendra demain à ceux qui comprennent les traitements de ces téraoctets ou pétaoctets d'informations, qui savent les utiliser, les critiquer et les améliorer. Or ces compétences ne vont pas de soi : elles exigent non seulement la maîtrise d'outils quantitatifs, mais surtout une formation de base solide, en particulier en mathématiques.<br />
Internet change ainsi profondément les compétences que l'enseignement doit développer chez les élèves et les étudiants. Mais l'informatique va aussi apporter des évolutions profondes sur les modalités mêmes de l'enseignement. Dans les pays en développement, les possibilités nouvelles sont énormes puisque des étudiants isolés et défavorisés peuvent accéder aux cours en ligne des plus prestigieuses universités ? mais pas encore aux diplômes correspondants.<br />
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Dans nos pays développés, par contre, l'informatique ne supprimera certainement pas le rôle des enseignants. Mais, en prenant en charge la partie la plus répétitive et la plus automatique de l'enseignement et de la vérification des acquis, elle leur permettra de se consacrer à l'essentiel : le raisonnement logique, la clarté dans la réflexion et dans l'écriture, la subtilité dans l'analyse des textes, l'esprit critique. Ce n'est pourtant pas toujours la voie qui est prise : beaucoup trop d'élèves et d'étudiants apprennent surtout aujourd'hui à créer leurs "travaux personnels" en copiant-collant des morceaux de pages Web, en général sans même qu'on leur explique qu'ils se livrent ainsi à une médiocre forme de plagiat.<br />
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Beaucoup d'observateurs ont comparé l'ampleur de la révolution d'Internet à l'arrivée de l'imprimerie. Notre rapport à la connaissance et la hiérarchie des compétences utiles en sera profondément modifié. Une réflexion aboutie sur le nécessaire renouvellement de l'enseignement, dans ses objectifs et dans ses modalités, sera nécessaire pour armer les élèves et les étudiants pour le monde dans lequel ils vivront demain.</span>Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-30294966837561119252010-04-20T00:58:00.000-07:002010-04-21T23:41:04.241-07:00Le grand emprunt peut être une chance pour la rechercheTexte paru le 20/4/2012 dans <a href="http://www.latribune.fr/"><i>La Tribune</i></a>.<br />
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<div class="articleCorps"><span class="mod">Le grand emprunt va apporter un capital d'au moins 18 milliards d'euros au monde académique. Ce montant est d'autant plus important que les difficultés budgétaires actuelles n'augurent guère d'augmentation future des dépenses de l'État. Bien utilisés, ces crédits pourraient améliorer l'efficacité de l'ensemble de la recherche et de l'enseignement supérieur en France. Une partie importante de ce budget - plus de 10 milliards d'euros - sera attribuée à des "campus" et "laboratoires d'excellence". Ceci s'inspire de "l'endowment" des universités nord-américaines : des capitaux accumulés grâce aux dons, surtout des anciens élèves. Ils sont considérables pour quelques universités - jusqu'à 2 millions de dollars par étudiant à Princeton - mais sont en général faibles pour les autres "colleges". Ce système n'est pas l'élément le plus intéressant du système américain. Il est créateur d'inégalités, voire de distorsions de la compétition entre établissements. Les universités les plus riches paraissent massivement surdotées, sans que leur enseignement ou leur recherche soient obligatoirement meilleurs que ceux des grandes universités d'État aux moyens beaucoup plus limités. Le dynamisme de la recherche aux États-Unis doit probablement beaucoup plus au système national de financement des projets.<br />
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Pour éviter ces défauts, le mécanisme de sélection des "laboratoires" et des "campus d'excellence" devra éviter de sembler décréter l'excellence, avec le risque de favoriser non pas les meilleurs chercheurs mais les plus proches du pouvoir. Il faudrait pour cela des règles d'attribution claires, basées sur des évaluations scientifiques indiscutables, et qui autorisent la reconnaissance d'équipes d'excellence y compris dans de petites universités. Pour garder un caractère incitatif, les moyens attribués devraient l'être pour une période limitée, suivie d'une redistribution des cartes.</span><br />
<span class="mod"><br />
Les "campus d'excellence" présentent des difficultés spécifiques. Il sera difficile de s'assurer dans ces grands ensembles d'une bonne utilisation des fonds, incitative et concentrée sur les équipes véritablement dynamiques. La question de leur gouvernance prend donc une importance centrale. Deux dangers guettent : un partage "démocratique" des ressources suivant les rapports de force locaux, sans effet incitatif, attribuant beaucoup à des équipes sans réelle visibilité internationale. Et, à l'opposé, l'apparition de potentats locaux tirant leur pouvoir du contrôle de budgets importants, ce qui ouvrirait la porte aux pires dérives mandarinales.</span><br />
<span class="mod"><br />
L'observation d'exemples étrangers suggère bien sûr des pistes pour créer les outils de gouvernance nécessaires. Mais les milieux académiques français manquent de maturité dans ce domaine ; même les règles de déontologie élémentaires n'y sont pas encore toujours appliquées. Attribuer des financements considérables en fonction du respect de règles de gouvernance qui n'ont été ni clairement énoncées ni comprises et intégrées serait problématique. D'autres règles pourraient être recommandées aux futurs "campus d'excellence".<br />
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Le respect d'un niveau élevé de mobilité au moment des recrutements, par exemple, est nécessaire pour assurer la circulation et le renouvellement des idées. Elle assurerait aussi que les campus d'excellence profitent à l'ensemble du système académique français, les autres centres pouvant recruter les jeunes chercheurs qui y sont formés. On peut regretter aussi le choix exclusif de financements attribués sur des bases géographiques. Dans certaines disciplines bien structurées, des réseaux nationaux, qui sélectionnent les initiatives d'excellence où qu'elles se trouvent, mèneraient certainement à une utilisation plus efficace des moyens.<br />
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</div>Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-64694604882332975182010-04-04T09:19:00.000-07:002010-04-20T05:15:41.799-07:00Pour les universités, ce n'est pas la taille qui compteLe texte suivant est paru dans le quotidien <i>La Tribune</i> le 17/3/2010, voir <a href="http://www.latribune.fr/opinions/20100317trib000488471/pour-les-universites-ce-n-est-pas-la-taille-qui-compte-.html">ici</a>.<br />
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<span class="mod">L'écho considérable du classement de Shanghai en France a eu pour effet bénéfique d'attirer l'attention sur le retard pris par l'enseignement supérieur de qualité et par la recherche dans notre pays, et sur l'urgence qu'il y a à investir dans ce domaine crucial pour l'avenir. Mais les médiocres performances françaises dans ce classement constituent un symptôme, et non un mal.</span><br />
<span class="mod"><br />
Il est tentant de se fixer comme but de gagner des places, comme on veut gagner plus de médailles aux Jeux olympiques ; mais l'enjeu central est la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche, et non le nombre d'universités bien classées.<br />
</span><br />
<span class="mod">La manière la plus simple de "monter" dans le classement de Shanghai est de regrouper des établissements pour additionner leurs scores. Cette mesure superficielle flatte l'ego des décideurs, qui croient créer des institutions importantes alors qu'ils ne font que réarranger l'existant sans rien changer au fond. Elle peut être très coûteuse en infrastructures, comme dans le projet du plateau de Saclay, et risque de créer des organisations trop énormes pour être dirigées efficacement - les problèmes de gouvernance des universités sont loin d'être complètement résolus. <br />
</span><br />
<span class="mod">La taille des ensembles en voie de constitution tranche avec celle, beaucoup plus réduite, des premières universités du classement de Shanghai. Celles-ci ont de l'ordre de 1.000 ou 2.000 "faculty members" (enseignants-chercheurs ayant des postes permanents ou ayant vocation à le devenir) et quelques milliers d'étudiants. Caltech (au 6ème rang) compte environ 400 "faculty". Par comparaison, la seule université Paris VI rassemble 5.600 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents et 30.000 étudiants, et ne sera qu'une partie d'un ensemble beaucoup plus vaste ; le projet du campus de Saclay vise à regrouper près de 30.000 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents et autant d'étudiants.<br />
</span><br />
<span class="mod">L'importance attribuée aux classements se justifie par le souci de l'attractivité : avoir un bon rang permettrait d'attirer les meilleurs étudiants de Chine, d'Inde ou d'ailleurs. La réalité est plus complexe. Les étudiants avancés, qui viennent préparer un master ou un doctorat, ont une idée précise de leur discipline et des équipes dans lesquelles ils voudraient travailler. Ceux qui débutent fondent en partie leur choix sur l'image des universités, mais cette image dépend de bien plus que de classements : avis des condisciples qui y étudient, qualité des bâtiments, de l'encadrement, de l'environnement, visibilité des résultats de la recherche.<br />
</span><br />
<span class="mod">Les regroupements prévus en France pourraient bien se révéler contre-productifs. Le classement de Shanghai était au départ l'initiative individuelle d'un professeur assisté de deux étudiants, construit à partir de données faciles à compiler. Les prochaines éditions utiliseront probablement des données plus sophistiquées, il est possible qu'elles se basent sur la production moyenne par enseignant-chercheur, plus difficile à mesurer mais plus significative que la production totale. Dans ce cas, les futures méga-universités françaises perdraient toute chance de briller, les équipes d'excellence étant noyées dans d'immenses ensembles plus moyens. Les regroupements actuels paraîtraient alors non seulement contre-productifs mais même ridicules.<br />
</span><br />
<span class="mod">Le vrai bénéfice potentiel des regroupements est ailleurs : dans la possibilité de véritables formations pluridisciplinaires, sortant des frontières des actuelles universités spécialisées en sciences, en sciences sociales ou en lettres. De futurs ingénieurs ou avocats pourraient profiter des enseignements d'excellents philosophes, de futurs philosophes suivre les cours d'excellents biologistes. Mais cette possibilité n'est encore que bien peu utilisée dans la pratique.</span><br />
<span class="mod"><br />
Les regroupements d'universités relèvent d'une vision bureaucratique de la recherche. Le véritable enjeu est de dynamiser la recherche et d'améliorer l'enseignement, dans les laboratoires et dans les salles de cours.</span>Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1341169208110303344.post-32286898966527072532010-04-04T09:04:00.000-07:002010-04-04T09:07:24.408-07:00Bienvenue sur ce blog !Je pense y poster régulièrement des billets sur la recherche et sur l'enseignement supérieur en France. Mais avec une fréquence assez faible -- une fois par mois, parfois deux. Les remarques et commentaires seront les bienvenus !Jean-Marc Schlenkerhttp://www.blogger.com/profile/10063463243476870669noreply@blogger.com0