mardi 18 mai 2010

Internet et la révolution du savoir

Article publié le 18/5/2010 dans La Tribune
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Internet crée une révolution profonde et encore mal comprise dans notre relation à la connaissance. Il rend nécessaire une refonte tout aussi profonde de l'enseignement, dont les prémices apparaissent seulement. La nouveauté la plus évidente est l'accès immédiat offert par Google à une quantité presque infinie d'informations ? l'essentiel des connaissances humaines est à quelques clics de souris de n'importe quel curieux. La capacité de mémorisation en est dévalorisée. Il devient par contre crucial de savoir s'orienter face à une cascade illimitée de données et d'opinions qui peut nous submerger. La difficulté est alors de hiérarchiser les sources et d'évaluer la fiabilité des informations, de savoir où s'informer et à qui se fier. Pas facile.

Mais on peut observer un phénomène plus profond. Et plus pernicieux. Il a été bien mis en évidence par Nicholas Carr dans un article qui a reçu un écho considérable outre-Atlantique en 2008 et intitulé "Is Google Making Us Stupid ?". Il remarque qu'Internet crée une culture du "butinage" intellectuel, mais que la lecture de livres ou de longs articles nous devient pénible. Quelques secondes nous suffisent pour glaner avec agilité des informations sur une page Web, mais une réflexion de fond nous devient difficile. L'aboutissement de cette nouvelle culture est Twitter et son flot infiniment distrayant de messages de moins de 140 caractères. Or la maîtrise d'Internet est utile, mais la capacité à se plonger dans un problème ou dans la lecture d'un texte difficile n'est pas moins nécessaire. Il revient plus que jamais à l'enseignement de la développer.

Une autre révolution liée à Internet est la quantité fantastique d'informations qui sont accessibles et jouent un rôle central dans une gamme chaque jour plus vaste d'activités, de la finance à la médecine en passant par le marketing ou la politique. Dans ces domaines, des programmes analysant de gigantesques bases de données d'expériences antérieures dépassent les meilleurs experts humains. Le monde appartiendra demain à ceux qui comprennent les traitements de ces téraoctets ou pétaoctets d'informations, qui savent les utiliser, les critiquer et les améliorer. Or ces compétences ne vont pas de soi : elles exigent non seulement la maîtrise d'outils quantitatifs, mais surtout une formation de base solide, en particulier en mathématiques.
Internet change ainsi profondément les compétences que l'enseignement doit développer chez les élèves et les étudiants. Mais l'informatique va aussi apporter des évolutions profondes sur les modalités mêmes de l'enseignement. Dans les pays en développement, les possibilités nouvelles sont énormes puisque des étudiants isolés et défavorisés peuvent accéder aux cours en ligne des plus prestigieuses universités ? mais pas encore aux diplômes correspondants.

Dans nos pays développés, par contre, l'informatique ne supprimera certainement pas le rôle des enseignants. Mais, en prenant en charge la partie la plus répétitive et la plus automatique de l'enseignement et de la vérification des acquis, elle leur permettra de se consacrer à l'essentiel : le raisonnement logique, la clarté dans la réflexion et dans l'écriture, la subtilité dans l'analyse des textes, l'esprit critique. Ce n'est pourtant pas toujours la voie qui est prise : beaucoup trop d'élèves et d'étudiants apprennent surtout aujourd'hui à créer leurs "travaux personnels" en copiant-collant des morceaux de pages Web, en général sans même qu'on leur explique qu'ils se livrent ainsi à une médiocre forme de plagiat.

Beaucoup d'observateurs ont comparé l'ampleur de la révolution d'Internet à l'arrivée de l'imprimerie. Notre rapport à la connaissance et la hiérarchie des compétences utiles en sera profondément modifié. Une réflexion aboutie sur le nécessaire renouvellement de l'enseignement, dans ses objectifs et dans ses modalités, sera nécessaire pour armer les élèves et les étudiants pour le monde dans lequel ils vivront demain.

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