mercredi 30 juin 2010

Les richesses mal exploitées du doctorat

Article publié dans La Tribune, le 28/6/2010.
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Dans la plupart des grands pays développés, le doctorat est le diplôme de référence. Il est utile pour faire carrière à haut niveau, en particulier dans les fonctions techniques et surtout de recherche et développement. C'est encore loin d'être le cas en France, et cette spécificité est intimement liée aux difficultés françaises dans certains secteurs innovants.


Chez nos principaux partenaires, le doctorat est avant tout un mode de formation apprécié, qui développe des qualités exactement complémentaires de celles acquises dans les classes préparatoires et les grandes écoles françaises : indépendance, sens critique, travail approfondi sur un problème. Il est source de richesse pour les entreprises, dont certains cadres ont une connaissance fine de domaines divers de la connaissance. Un jeune docteur en histoire ou en littérature de Cambridge peut faire une belle carrière dans une entreprise, et les banques suisses ou certains hedge-funds new-yorkais raffolent de docteurs en mathématiques pures ou en physique théorique. Non pas parce qu'ils possèdent des connaissances immédiatement exploitables, mais parce qu'il est stimulant et intellectuellement formateur d'avoir fréquenté pendant plusieurs années un groupe de recherche d'excellence. Les entreprises ont ainsi une relation naturelle et efficace avec les laboratoires de recherche, grâce aux relations entre leurs cadres docteurs et leurs anciens collègues ou directeurs de thèse.

En France par contre le doctorat reste assez mal considéré dans les entreprises. Les seuls docteurs qui y trouvent facilement leur place sont ceux qui bénéficient aussi d'un diplôme d'ingénieur. Même pour eux, un doctorat conduit généralement à une relative perte de salaire. De plus les entreprises tendent à favoriser les sujets de thèse correspondant à un besoin immédiat, souvent dans le cadre d'un système spécifique appelé « C.I.F.R.E. » de thèse co-financée par une entreprise, réalisé en partie dans ses locaux, et conduisant normalement à l'embauche directe du docteur.

Le système de formation doctoral français est ainsi double. D'une part des laboratoires, pour certains excellents, dont les doctorants se destinent au monde académique ou éventuellement à l'enseignement secondaire mais ne vont presque jamais dans les entreprises ; d'autre part, des unités de recherche proches des formations d'ingénieur, pas toujours au meilleur niveau dans leur domaine, qui se spécialisent dans l'encadrement de doctorats très spécialisés menant à des embauches directes en entreprise.

Cette situation peut expliquer la faible reconnaissance du doctorat dans les entreprises françaises. Autant une thèse dans une équipe de premier plan peut être intellectuellement formatrice, autant le même diplôme obtenu dans un laboratoire médiocre est souvent une perte de temps. Dans d'autres pays, les doctorants sont concentrés dans les meilleures équipes de recherche, grâce à des mécanismes comme les « grants » de la N.S.F. En France, les allocations de thèses sont plus largement réparties, et les contrats C.I.F.R.E. sont attribués sans contrôle du niveau scientifique des équipe de recherche encadrantes.

Le doctorat souffre aussi de faiblesses au sein des universités. Les programmes doctoraux se sont parfois développés aux dépens de la qualité des recrutements des étudiants qui s'y engagent – d'autant plus limitée que les débouchés sont faibles. De plus le système français ne sait pas donner aux recruteurs potentiels non académiques des signaux clairs sur la qualité du travail des docteurs, comme en Allemagne (où quatre mentions de thèse sont clairement identifiées et réellement utilisées) ou aux États-Unis (où un système de lettres de recommandations indique aux non-spécialistes les qualités d'un jeune docteur).

La faible reconnaissance du doctorat en France est un archaïsme qui pèse tant sur le développement de nos universités que sur les capacité des entreprises françaises à innover. L'améliorer demanderait des réformes de fond.

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