Le texte suivant a été publié dans La Tribune le 15/2/2010.
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L'enseignement supérieur a de tout temps eu un double rôle : formation d'une part, sélection des futurs cadres d'autre part. L'une des caractéristiques du système français actuel est l'hypertrophie de la sélection au dépens de la formation. L'étiquette que constitue le diplôme joue un rôle tout au long de la carrière, jusqu'à la notice nécrologique. Elle prime souvent sur les qualités professionnelles pour le choix des postes importants, si bien que les grandes entreprises françaises sont généralement dirigées par des anciens élèves d'une poignée de grandes écoles. Leurs homologues en Allemagne, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne ont des formations supérieures beaucoup plus diversifiées, et des formations initiales dans des universités de niveau variable (complétées plus tard par un MBA). La situation est particulièrement caricaturale dans la fonction publique française, où les postes à fort potentiel sont partagés entre les grands corps.
Parallèlement, le rôle de formation intellectuelle de l'enseignement supérieur est souvent minoré, voire délaissé, dans certaines Écoles. La formation n'y est pas fondamentale mais « professionnalisante », son objectif est de permettre une insertion facile dans une entreprise. Les grandes universités mondiales donnent accès à des connaissances avancées dans tous les domaines grâce à l'enseignement de chercheurs choisis pour les progrès qu'ils ont apporté à leur discipline. Beaucoup de Grandes Écoles françaises refusent ce système exigeant : leurs enseignants n'ont pas besoin d'être reconnus pour l'excellence de leurs travaux, ils peuvent être recrutés à l'intérieur de réseaux relationnels.
La formation de base est alors confiée aux classes préparatoires. Elle est solide mais scolaire, et très homogène ; et a peu évolué au cours des dernières décennies, et ne sont plus suffisantes pour comprendre les technologies importantes aujourd'hui, encore moins celles qui le seront demain. Par exemple, les programmes de mathématiques des classes préparatoires étaient avancés il y a un demi-siècle ; ils n'ont guère changé depuis, et ne représentent plus qu'une fraction de ce qu'apprend aujourd'hui un étudiant de Cambridge.
Les faiblesses de ce système sont profondes. Non pas pour les étudiants qui y sont formés, leurs qualités sont souvent appréciées et ils trouvent sans problème leur place grâce aux réseaux d'anciens élèves ; mais pour les entreprises qui les emploient et pour l'économie dans son ensemble. Les milieux dirigeants français ont des profils homogènes, certaines qualités y sont abondantes, d'autres talents y sont rares. En tant que groupe, ils manquent d'un ensemble de connaissances présentes chez leurs équivalents étrangers dont les formations sont plus diverses et plus riches. Un système de « castes » fondées sur le diplôme dégrade le climat social et démotive ceux dont la progression est bloquée par un plafond infranchissable, quels que soient leur compétence et leur dévouement.
L'enseignement supérieur français doit admettre que son rôle est de donner aux étudiants la formation la plus riche possible, nécessairement fondée sur une recherche de haut niveau dans les différents champs académiques, mais pas de choisir les leaders de demain; il ne peut repérer qu'une partie des talents nécessaires à un cadre supérieur. L'identification et le développement des talents montants est d'ailleurs un aspect essentiel – et délicat – du "leadership". On peut penser qu'une entreprise dont la plupart des dirigeants sont des « anciens élèves de » est généralement médiocrement gérée, hypothèse d'ailleurs confirmée par des études économétriques1 ; les entreprises devraient choisir leurs cadres supérieurs suivant leurs qualités et non leurs diplômes. L'État donnerait l'exemple en fondant les nombreux « grands corps » qui fleurent bon le XIXe siècle – comme celui des Mines ou des Ponts – dans un corps unique plus ouvert, où le talent individuel primerait sur l'appartenance de caste.
dimanche 10 octobre 2010
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Pourrait-on connaître les références des études économétriques qui démontrent que les entreprises dirigées par des "anciens élèves de" son médiocrement gérées ?
RépondreSupprimer"sont", bien sur. Pardon.
RépondreSupprimerRéponse à Anonyme : désolé de trouver ce commentaire si tard. La référence précise a été supprimée lors de la publication de l'article par La Tribune, c'était : "Social Networks in the Boardroom", Francis Kramarz, David Thesmar, IZA Discussion Paper No. 1940, janvier 2006.
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