dimanche 9 janvier 2011

Deux visions de la formation des enseignants

Manquant de temps pour écrire un post, je remet ici une chronique déjà ancienne écrire pour La Tribune, publiée le 17/12/2009. Il s'agit de la formation des enseignants, une question qui reste d'une complète actualité. Commentaires bienvenus.

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La formation et le recrutement des enseignants du secondaire sont en cours de réforme. Ils sont actuellement recrutés par concours : soit le Capes après un diplôme de licence de niveau bac + 3, soit l'agrégation après avoir obtenu un diplôme de niveau bac + 4. C'est donc, avec l'année de préparation au concours, un recrutement à bac + 4 ou bac + 5, mais qui ne permet pas d'obtenir le diplôme de master qui fait référence au niveau européen. La réforme en cours vise à corriger ce point, on parle de "mastérisation". Les conflits intenses des derniers mois autour des modalités de cette réforme ont fait apparaître deux visions opposées du rôle des enseignants.


La première les considère comme de simples employés chargés de faire apprendre leurs leçons aux élèves. C'est ainsi qu'a largement été comprise la remarque de Xavier Darcos, alors ministre de l'Education nationale : "on va les trouver les gens pour passer nos concours." De ce point de vue, les concours de recrutement actuels sont beaucoup trop exigeants, surtout l'agrégation, plus difficile dans certaines disciplines que l'entrée dans la grande majorité des grandes écoles. Mieux vaudrait recruter les enseignants à plus bas niveau, avec une petite formation dans leur discipline - allant légèrement au-delà de ce qu'ils devront enseigner - puis leur apprendre leur métier, c'est-à-dire comment enseigner.

Pourtant, le rôle à la fois social et économique des enseignants du secondaire est considérable. Rares sont les élèves qui passent autant de temps à communiquer avec leurs parents qu'avec leurs professeurs. Ceux-ci leur transmettent bien plus que des connaissances : ils peuvent servir d'exemple et de modèle, montrent une manière d'être, de réfléchir, de travailler, d'échanger. Ce rôle est particulièrement important pour les élèves issus de milieux socialement défavorisés, pour lesquels les enseignants peuvent offrir une ouverture vers d'autres formes de culture ou de réflexion. Des comparaisons internationales (Pisa) indiquent d'ailleurs que le niveau de formation des enseignants, et leur salaire relatif, fait partie des rares facteurs ayant un effet positif clair sur les résultats des élèves.

Les enseignants jouent un rôle économique indirect mais fondamental. Il est clair que le développement d'un pays dépend essentiellement du niveau de formation de ses habitants, donc de la qualité de son enseignement secondaire. Son futur est ainsi déterminé par ses enseignants, autant ou plus que par ses ingénieurs, son personnel politique ou ses banquiers. Si quelques pays (comme les Etats-Unis) arrivent à compenser un enseignement secondaire médiocre par des universités de grande qualité, c'est au prix d'une dépense pour l'enseignement supérieur qui paraît, en France, hors d'atteinte.

Ces considérations conduisent à une vision différente des concours de recrutement. Ils sont un moyen de sélectionner des esprits solides et compétents, dans différentes disciplines, à qui sera confiée la charge considérable de former les générations futures. L'important n'est pas qu'un agrégé de lettres puisse analyser avec brio "La Princesse de Clèves", ou qu'une agrégée de physique maîtrise les fondements de la mécanique quantique. Mais bien qu'ils aient prouvé, par la réussite à un concours difficile, leurs capacités intellectuelles et leur passion pour leur sujet, qu'ils pourront transmettre en partie, à travers leur exemple et leur enseignement, à leurs élèves.

A contrario, la formation pédagogique est considérée avec méfiance par beaucoup d'universitaires et d'enseignants. Non par principe : l'enseignement est un métier qui peut, dans une certaine mesure, s'apprendre. Mais, en pratique, la formation pédagogique donnée dans les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) est parfois théorisante voire jargonneuse, et éloignée des difficultés réelles de la pratique quotidienne de l'enseignant. Une formation à la pédagogie, assurée par des enseignants expérimentés, est certes utile ; mais la perspective de concours de recrutement centrés sur des connaissances pédagogiques théoriques plutôt que sur des compétences disciplinaires est inquiétante. On ne saurait surestimer l'importance des orientations qui vont être données dans les prochaines semaines à la formation et au recrutement des enseignants du secondaire. Il est souhaitable qu'elles restent centrées sur un contenu disciplinaire bien maîtrisé.

2 commentaires:

  1. Si on veut être réaliste (et méchant), on pourra remarquer que la question des concours de Capes ne se posera plus dans un futur proche. En effet, dans certaines disciplines le nombre de candidats a commencé à chuter fortement, de sorte qu'il n'est plus défendable de mobiliser et payer un jury pour éliminer cent candidats sur mille... Bientôt il y aura peut-être moins de candidats que de postes.

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  2. MathOMan: c'est possible mais pas si sûr. Le fait est que le nombre de candidats a fortement baissé cette année, mais il y a plusieurs raisons possible à cela. Probablement la plus faible attractivité du métier d'enseignant, mais aussi le passage à bac+5 du capes, qui crée un "trou" dans les candidats -- ceux qui "auraient dû" arriver au concours cette année sont retardés d'un an et n'arriveront que l'année prochaine.

    Pour savoir quel est l'importance respective des deux facteurs il faut attendre l'année prochaine ou les suivantes, quand on sera à nouveau en régime stationnaire.

    Ceci dit il me semble évident qu'il faut faire un effort important pour rendre l'enseignement plus attirant, et plus facile pour les jeunes recrutés. La première chose à faire serait de cesser de leur confier les classes les plus dures dans les collèges les plus défavorisés, là où leurs collègues plus expérimentés ne veulent pas aller.

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